RETROUVAILLES

Elle arrive en retard. Un peu gauche elle traverse la salle. Lui est déjà là, le cœur battant.

– Je suis désolée pour le retard

– Je n’ai pas l’habitude de t’attendre. Assied-toi.

– Je … je ne pense pas rester bien longtemps. Enfin … je ne sais pas

– Allons tu prendras bien un verre? un petit thé? Tu aimes toujours le Yunnan?

– Je n’aurais pas cru que tu t’en souviendrais. Ce genre de détails personnel . Hum..

Elle prend une grande respiration et détourne le regard, rougissant légèrement.

– hum hum hum

-Tu viens encore souvent ici ? demande t’il avec assurance

-A l’occasion oui. Enfin le mercredi après mon rendez-vous chez la thérapeute. Mais bon .. ce lieu … il reste spécial. Toujours un peu associé à toi en quelque sorte.

C’est lui maintenant qui baisse les yeux. Il triture le menu, déchire sa serviette en paillette de papier. Il ne sait que faire de ses deux mains et regrette le temps où il fumait encore.

Il répond: « Oui pour moi aussi. Je t’y vois partout. »

– Oh n’exagérons rien . Comme si je t’avais manqué pendant toutes ses années. Elle est sur la défensive et s’en veut immédiatement de cette attaque gratuite.

– Mais … euh … enfin c’est-à-dire que je … Il balbutie. Begaye. Pers de sa contenance et ça le rend fou. Il se redresse, tousse et relève le buste pour se donner l’illusion de gérer le flux de sensations qui le traversent et le déstabilise.

Elle sent le rouge monter aux joues, elle a beau s’en vouloir, elle a beau avoir l’intention de rester calme et bienveillante. A l’écoute, respectant son point-de-vue, elle est lancée mantenant et ne peut plus s’arrêter.

– Avec ta vie si remplie? tes rendez-vous de ministre? Ne me fais pas croire .. dans ta vie si bien ficelée ..

-C’est juste que. Quand tout est bien ficelé, ça manque de vie. Ton petit chaos bien à toi , ça secoue mais ça fait aussi battre les cœurs tu sais ?!

Elle regarde sa tasse. Il y a une feuille de thé collée à la porcelaine.

Pourrait-elle y lire l’avenir ? ou est-ce à elle, à eux de le construire?

Elle revient à elle en contemplant la géographie de leurs échanges au fond de la tasse, insensés, déconnectés, isolés.

-Tu te souviens tu te moquais toujours de mes doutes , de mon besoin de vérité et de justice absolue?

Il sourit. Imperceptiblement:  » ha ha oui … Ma ptite chérie qui a toujours besoin d’absolu. Ta naïveté … ha ha ha! » Il rit maintenant presque à gorge déployée. Il surenchérit toujours un peu.

Elle s’agite sur sa chaise et une vague de chaleur destructrice monte de l’abdomen jusque dans la gorge.

– Tu … tu vois ? …. tu … tu , elle cherche ses mots, perd ses moyens?

-Tu tu tu !! Tu quoi encore? qu’est-ce que j’ai encore fait?

Elle relève la tête brusquement. Plonge ses yeux sombres dans les siens.

– Tu vois! tu recommences , hurle t’elle. Elle imprime un mouvement vers l’arrière et manque de tomber de la chaise.

Il se raidit. Il ne l’a encore jamais vue dans cet état.

– Ex … exc…. hum hum . Euh enfin bon … tu comprends quoi ?

Les bras lui tombent. Pendant une fraction de seconde, elle y a cru. Elle y a vraiment cru. Comment a t’elle pu imaginer qu’il en serait capable? Qu’il ferait ça aujourd’hui plus que tout autre jour.

– Tu n’en n’es pas capable hein? Elle le crache comme un morceau de viande avariée avalé par mégarde.

-De quoi ?

– De t’excuser. De dire: «  Je suis désolé » De faire preuve d’empathie bon sang.

Il balaye sa phrase d’un revers de la main et prend son verre pour se donner de la contenance.

-S’excuser de quoi? – Je m’excuse. Voilà Ça te va ça ? Je m’excuse si mes mots ont effleuré ta sensibilité exacerbée. Il est agacé lui aussi. Il en a assez de sa fragilité à deux balles, des ses exigences d’authenticité, de responsabilisation de soi.

Elle se lève. D’un coup sec. Elle pourrait le gifler. Elle pourrait se gifler. Mais ses jambes ne la tiennent plus.

– JE SUIS TROP CONNE , hurle t’elle en balançant la théière sur le carrelage, les feuilles de thé formant un étrange paysage surréaliste et désolé. Des larmes de rage coulent sur ses joues et glissent jusque sur sa poitrine. Des larmes ultimes nettoyant un cœur qui n’attendra plus réparation.