Mac Do ou gastro?

« Quoi la dernière fois que t’as baisé c’était y a 3 mois ? »

La remarque relève plus d’un jugement que d’une question. Elle est ponctuée par une joli ricanement de hyène suivi par l’hilarité générale.
Moi j’affiche un petit rictus venu tout droit de mon anus tout reserré. Alors que j’encaisse l’humiliation qui s’applatit sur moi, un voile de honte brouille tous mes sens comme une nuée de mouchettes noires un soir d’orage de montagne. Au fond de moi, dans un coin sombre et oublié une colère rouge et sourde s’éveille au creux du ventre.

C’est bien la honte qui remporte la manche. Elle fait couler la colère dans les profondeurs et se répand comme du goudron sur tout mon corps. Il ne me manque plus que les plumes et la scène est jouée. Ce voile de honte paralyse toute réplique ou défense possible.

La moquerie vient d’un mec tout propre sur lui, les dents blanches, le sourire ravageur. Le genre qui en ramène une ou deux par semaine. Des petites nanas toutes fraîches, 10 à 15 ans de moins que lui. Il les pêche à la salle de sport, sur tinder ou dans les apéros urbains à coup de Champagne de nouveau riche. Pas le champagne insolite d’un vignoble modeste de campagne, non le prétentieux qu’on trouve partout mais à un prix exorbitant.

Autour de la tablée nous sommes deux poignées de convives. Parmi eux, trois ou quatre me sont familiers. Un couple d’amis qui se gargarisent un peu des invités qui les entourent. Et notre hôte un mâle alpha con et prétentieux qui a encore des difficultés à choisir pour qui il a envie de se faire passer. Le mec cool qui joue de la guitare coiffé d’un bonnet en laine genre surfeur qui lui rend la bouille bien plus angélique qu’il ne pourra jamais l’être dans cette incarnation ou le manager international qui brasse du fric comme il cumule les plans cul. Entre les deux sont ego balance encore.

Moi je suis là parce que j’ai couché avec ce con quelques mois plus tôt. Encore une erreur d’énoncé où j’me suis sentie obligée de rentrer avec lui parce qu’il avait mis tant d’efforts pour me draguer toute la soirée., Je me devais en tant que gentille fille me sentir honorée par le temps précieux qu’il m’avait alors consacré pour s’arrêter deux minutes sur moi. Parce que c’est le genre de gars dont on est supposée être fière et flattée qu’il fasse de nous sa proie.

Il est beau et sa carrière donne envie à tous les mâles au narcissisme défaillant. Il est libre et personne ne sera l’élue.
Mais implicitement c’est ce que j’ai appris. Rassurer l’homme et participer à la supercherie en cuinant quand il me met la main au cul et en le gratifiant d’une grande tape dans le dos dès qu’il a une érection. Bravo! Grand champion!

Je suis pas la seule à jouer cette comédie sociale. Ils sont tous là pour se galvaniser entre eux.

Mon regard fait le tour de la table. Les gens sont beaux. Tout est bien découpé. Les mâchoires carrées, les sourcils en calligraphie japonaise, les cheveux des femmes brillent et les dents scintillent. Les seins sont refaits mais tellement parfaits. Les mecs sont sculptés, le sport fait partie intégrante de la réussite qu’ils essayent de nous faire gober.

Même ma présence fait partie du tableau. Comme quand les riches démocrates blancs invitent les artistes noires en vogue pour appuyer leur libéralisme débordant. Moi, dans ce cas-ci je suis la gaucho à moitié chômeuse à la sensibilité à fleur de peau et à l’esprit dissident. Je colore la soirée d’un exotisme exquis. Et je consens à participer à cette supercherie, à ce contrat tacite où nous les gens modestes devrions afficher un contentement béas pour avoir eu le privilège de venir admirer les cuisines high tech et les pantalons bien repassés. Pour savourer la réussite sociale ou professionnelle il faut un spectateur, celui qui applaudit, qui bave gentiment et si possible qui envie. Peu importe le niveau de conneries de nos hôtes, il est de bon ton d’être un peu en pâmoison sans trop le montrer quand même. C’est une question de bon dosage. Sinon on passe pour des François Pignons.

On doit envier on doit admirer on doit être tellement content d’être là. Si si Madame, c’est instagram qui l’a dit.

Heureusement pour moi, il est tellement primordial pour chacun d’eux de retrouver le devant de la scène que mon histoire d’abstinence de 3 mois est déjà tombée aux oubliettes. Dans mon coin, je rumine. J’ai des tonnes de répliques ultra cinglantes et bien placées qui foisonnent dans mon cerveau à une vitesse vertigineuse. Putain elle était où ma légendaire répartie y a 5 minutes pendant que mon enfant intérieur se morfondait de gêne dans un coin reculé de mon âme.

Pendant ce temps, je chope au passage une remarque de L.
Le mec a rembarré une fille qui le draguait gentiment à la salle sport en lui disant qu’elle était bien trop grosse pour lui et qui si elle voulait vraiment qu’il daigne déposer sa bite sur son cul faudrait qu’elle perde au moins 7 kg. Bon évidemment il a pas parlé de sa bite, c’est un mec bien après-tout mais bon je vous le fais avec les sous-titres.

Il raconte ça fier et tellement sûr d’avoir raison. Mon anus serré de début soirée commence à se fendre en deux. A ce moment-là j’ai plus de cœur, donc rien d’autre ne pourrait se fendre. Dans ce genre de lieu, le cœur vaut mieux le ranger au frigo voir même au congèle. Il sera toujours temps de le décongeler en meilleure compagnie.

Donc on en est là. Lui content de lui. Qui nous raconte comment la nana s’est mise au sport à outrance pour satisfaire ses exigences.

Et ce connard de clôturer :

« Quand même, je lui ai rendu un fameux service. Grâce moi, elle trouvé la motivation de perdre du poids, de viser un corps sexy. Et elle ne se laissera plus aller dans se p’tits bourrelets confortables ».

Pour peu elle devrait même le remercier d’avoir eu la générosité de lui filer ses standards à défaut de lui refiler sa chlamydia.

« Donc en fait, attends !


Si je résume bien. Non seulement tu as créé un complexe au point que cela tourne à l’obsession, chez une femme qui était peut-être tout à fait bien dans ses rondeurs. Mais ce faisant tu perpétues des décennies de conneries qui nourrissent le marché du régime et font que toutes les femmes attablées ici sont affamées de génération en génération. Parce que, évidemment, seule la minceur vaut le pesant de l’amour?

Ce mec est un génie il arriverait presque à nous faire avaler que ça fait de lui un bon samaritain, un mec bien, un sauveur. Je suis presque sûre qu’autour de la table certains sont même convaincus qu’il aime les femmes. 

Je vous épargne les détails sur l’état de mon anus à ce niveau de la conversation. C’est simple si tu regardes en travers tu dois apercevoir le fond de mon crâne tant il est béant.

C’est pour mon cœur que je m’inquiète un peu plus. Heureusement lui je l’ai relégué aux places de 3 ème classe. Il est plus trop, ni aux commandes ni même au balcon. Il a autre chose à foutre que d’assister à ce spectacle désastreux.

A ce moment-là je sors de ma rumination et je me rappelle les quelques pauvres minutes que j’ai passé au pieu avec lui. A cet acte mécanique auquel nous nous étions adonnés. Moi qui ai pratiqué une sortie de corps aussi rapide que Hussein Bold au 100m où Blanche Gardin après la sodomie. Lui tout droit et rigide dans cette enveloppe qui se veut parfaite mais sans vie. Le genre de coït où seuls les bruits de chairs qui claquent te rappellent que c’est du vivant.

Quoique des cadavres que l’on frotteraient les uns contre les autres feraient autant de bruits.

Ce qui me fait dire que nous n’étions pas totalement morts c’est qu’alors je n’aurais pas pu le surprendre entrain d’admirer ses propres pectoraux pendant qu’il me pilonnait sans conviction à coup de bassin tout dur et tout bloqué. « Faudrait penser à aller chez l’ostéo mon vieux’ ce bassin est rouillé. »

C’est en repensant à ça que j’ai réalisé la maldonne. Eux et moi on parlait pas de la même chose. Y avait eu une confusion de niveau.

C’est juste des choix de vie différents. Faut pas confondre le Mac do avec un restaurant gastronomique.

Si tu consommes du Mac Do toutes les semaines c’est ton choix. Je peux comprendre. Ça coûte pas cher, ça te bourre l’estomac sur le court terme et donc ça donne l’illusion que ça remplit.

Si tu aimes bien manger, si tu aimes explorer, savourer, déguster, ça demande plus d’effort et de patience. Parce que les bons resto gastronomiques ça court pas les rues, c’est rare. Alors que des Mac Do t’en trouves partout. Non mais c’est vrai, Mac Do c’est comme la misère et Coca-Cola, c’est dingue y en à même au fin fond de l’Afrique. Et comme ça rend addict t’en oublies même que tout compte fait ça ne te nourrit pas.

Mon coup d’un soir qui datait d’un trimestre c’était mon gastronomique à moi. C’est ça que j’avais eu envie de partager avant d’être coupée par la hyène. Ce truc magique et précieux qui m’était arrivé. Une nuit toute en chaleur et sensualité. Une nuit où on avait pu s’embrasser des heures et des heures et arriver à l’orgasme sans même se pénétrer. Parce que les corps on aurait dit qu’ils s’étaient connus auparavant, qu’ils étaient joyeux et fébriles de se retrouver.

Une nuit avec un homme souriant et timide, abstinent comme moi et tellement réservé que ses potes me voyaient comme un ange venu du ciel tant il devait pas pratiquer le Mac Do du sexe non plus.

Un coup d’un soir dont je n’oublierais jamais le prénom ( seule et unique information personnelle que j’ai eu de lui).

Karim. Merci Karim pour m’avoir fait l’amour sans que l’on soit amoureux. Merci Karim guérisseur sexuel qui m’a donné encore un peu de confiance dans une hétérosexualité délicate sensuelle et consentante. Une sexualité où je n’ai pas besoin de sortir de mon corps pour attendre que ça passe.

Alors à ces arrivistes consuméristes qui adorent manger du Mac Do toutes les semaines je leur demanderaient de ne pas gâcher mes cadeaux gastronomiques sous prétexte qu’ils n’ont pas les moyens de se l’offrir.

Quelques mois plus tard’ j’ai ré croisé le mâle alpha à Paris. Il tenait absolument à nous exposer son appart et qu’on lui fasse une standing-ovation. De nouveau tout satisfait de lui même il m’a fait du rentre dedans : « Alors ? Quand est-ce qu’on remet ça nous deux ? Parce que c’était quand même bon hein? ( la dernière question se situait entre l’affirmation et la demande d’approbation). »

T’as trouvé ça bon toi sérieusement?
C’était une vraie question. Mon ton était curieux’ naïf sans agressivité. C’est juste que ça me dépassait totalement cette possibilité que lui aie pu vraiment aimé cet ersatz de rapport sexuel.

Puis je me suis rappelée que c’était un bouffeur de Mac Do.