Je restai là,au milieu du restaurant, les bras ballants et ma mâchoire tombée entre mes seins ronds et tendus pas les hormones en pagaille. La langue coupée, la parole cisaillée.
Avais-je rêvé où ce homard philosophe venait de me remettre à ma place? Le temps de me reprendre, je secoue la tête pour remettre mes idées en place et j’ébroue mes ailes qui n’en croient pas leur oreilles.
Les pauvres elles se rétractent si fort qu’elles se cachent et se replient complètement sous les omoplates.
Je jette un regard de tueuse vers le homard qui flotte nonchalamment dans l’aquarium attendant la mise à mort avec passivité. Dans sa dernière nage funeste il me lance un clin d’œil moqueur, sort une pince, puis l’autre et se hisse douloureusement sur le rebord de sa geôle de verre.
– Oui c’est à toi qu’je cause. Pour qui tu t’prends à vouloir rêver ta vie à 50 ans? devenir écrivain ? toucher l’humanité avec tes écrits. Désolée de te décevoir mais non ma vieille, tu n’as rien d’exceptionnel, unique peut-être mais tout aussi banale qu’une autre. Et comme tout le monde, tu n’as rien d’autre à foutre sur terre que d’attendre de te faire bouffer par plus gros ou plus malin que toi . Mais rassures-toi, tellement malin qu’en te dévorant il arrivera à te faire croire que c’est un honneur pour toi puisque tu seras le mets le plus délicat et le plus chic de la carte. En attendant, je te conseille de te laisser flotter, de ne rien attendre de la vie en prétendant que la vitre que te sépare du monde est une protection et non pas une prison.