Day 17
Faut que j’vous raconte day 17 again
Nous sommes trempés comme des souches. Le temps est lunatique. La pluie s’arrête parfois alors le ciel souvre, le soleil perce et la chaleur nous prend de cours. Nos vêtements pourraient sécher en moins de 20 minutes. Puis une ondée anthracite s’avance vers nous et la pluie retombe en trombe sur l’auvent de notre albergue.
L’auberge ne paye pas vraiment de mine mais pour les pèlerins les aménagements sont l’équivalent d’un 5 étoiles.
Alors que je fais la file pour la douche, quelque chose me dit que, vu le temps d’attente, on y est pas trop mal. Effectivement, après ce qui me paraît une éternité (avec la subjectivité de la randonneuse qui macère dans son propre jus) un long mange-tout déguingandé d’origine chilienne sort de la salle-de-bain un peu hébété. Il me regarde confus l’air désolé du mec qui l’est quand même pas trop tellement c’était bon ( Sorry but not sorry).
Il me lance: « Sorry it feels like home in there! »
Une fois sous la douche je ne peux vraiment pas le blamer c’est vraiment la Mac Deluxe des salles de bain. Je ne peux m’empêcher d’y trainer un peu trop longtemps pour ma conscience écologique mais juste assez pour le bien-être de tout mon être.
Quand je sors un petit groupe de marcheurs est assis à l’abri sur la table de jardin en bois. Je ne le remarque pas de suite mais un minuscule petit chien blanc tout fluffy siège en maître sur la table. C’est lui le centre de l’attention. Toutes les mains se baladent sur son pelage soyeux. Les pèlerins sont au paradis. On dirait un amas de téléphones portable branchés sur un chargeur multi-prises. Combien de pèlerins ce petit chien à t’il déjà rechargé sur sa courte vie?
Ouvrez grands les yeux mes amis et vous reconnaitrez tous les guérisseurs sur votre chemin.
Je retourne dans mon dortoir.
Les hôtes ont été inventifs et pragmatiques.
Alors que bon nombre d’auberge ont fermé après la pandémie, ceux-ci ont profité de la relance post-covid. Ils ont construit une annexe en bois attenante à leur bâtiment principal. Sur le sol en béton brut, sont parsemés des carpettes et tapis façon peau de bête ou tissage marocain.
Peu de lits superposés ici, mais des fauteuls ou divan-lit sont disposés de manière aléatoire dans la pièce, comme si Saint-Nicolas les avaient lancé du ciel. Quelques lampes de chevets aux lumières chaudes peaufinent l’ambiance cosy. Notre dortoir fait plutôt office de boudoirs. Et l’effet partchwork nous permet d’avoir chacun notre propre espace, un lit, une lampe et un tapis et nous possédons un foyer.
Une atmosphère confortable se crée entre nous ( 4 allemands, une catallane et moi).
Assis sur les lits ou à même le sol, les allemands sortent des bières de leurs sac.. Mary Poppins pour randonneurs.
Toujours compter sur les germains pour prévoir les bières. Nous constatons la grande majorité d’Allemands à l’auberge ce soir. Je pense tout bas et sans trop savoir pourquoi : « le retour de l’envahisseur » et rougit honteuse de cette pensée.
Kevin l’un d’eux s’exclame alors tout haut dans un gros rire gras : « Ha ha ha ha it’s like World War 2 again ».
Oufi je ne suis pas la seule à avoir eu cette stupide et obscure pensée.
Nuria de Barcelone nous partage son amour de son pays ( la Catalogne pas l’Espagne) et de sa langue ( le Catallan pas le Castillan), de sa musique, ses rites et ses coutumes. Ses récits sont enjoués et empreints d’une appréciation sans limite. Deux grand yeux ronds couleur marrons remplis de joie et de fierté accompagnent ses histoires.
Cela fait réagir Max qui marche à ses côtés depuis quelques jours manifestement.
« You speak all the time about Catalagne, with all this pride. You are very proud of your country »
Sa remarque n’est pas un constat, elle contient une connotation négative. Comme s’il y avait quelque chose de mal voir de répugnant à être fière de son pays ou de ses origines.
La pauvre Nuria décontenancée se dépatouille comme elle peut pour justifier ce qui l’anime.
« I always lived there that’s all I know. Maybe that’s what you hear in my voice?! »
Moi ça me choque pas trop cette fierté. Nous les belges sommes plutot modestes en terme d’appartenance nationale. Parfois c’est à peine si on ne excuse pas de venir d’un pays si insignifiant. C’est peut-être la loi de l’équilibre universel. Nos voisins français sont tellement chauvins il nous parait requis de contrebalancer quelque peu. Personnellement, j’aime justement cet enthousiasme de Nuria pour sa région et ses particularités.
Par contre je suis étonnée en ce qui concerne Max. J’aurais imaginé les Allemands plutôt fières également de leur pays.
Je pose la question innocemment.
« But are’nt you, you, Germans also proud of your country and nationality? »
Silence de mort, 4 pairs d’yeux teutons se tournent vers moi. Ils ne disent rien mais je peux y lire en majuscules
« SERIOUSLY DID YOU REALLY JUST ASK THAT QUESTION ? »
Ça leur semble évident mais pas pour moi.
Puis BING, la pièce tombe!
« Oh! World War 2 again? »
⁃ « YEP!! » en choeur.
Waww je n’aurais jamais pensé qu’après presque 8 décennies, la jeune génération allemande puisse encore porter la culpabilité et la honte liées aux actes et choix de leur nation durant la seconde guerre mondiale. J’ai tendance à oublier la force de ses implants qui prolifèrent et s’insinuent dans nos chairs tel du venin.
Le silence s’installe à nouveau entre nous.
Et là, les fesses fartiguées sur les coussins de notre foyer du jour, c’est comme si nous mesurions tous le poids de nos ancêtres qui pèse encore aujourd’hui dans nos sac-à-dos.