L’étrangère

Aujourd’hui je l’ai de nouveau croisée. J’avais quitté papa et maman pour me balader en forêt. J’avais le coeur gros et l’envie de me baigner dans les senteurs de pins, me rafraîchir les joues et discuter avec les arbres.

En entrant dans la forêt je l’ai entre-aperçue. Entre deux voitures garée sur la terre meuble. Je m’amusais à salir mes chaussures dans une flaque de boue. J’étais la seule à faire éclabousser la gadoue jusqu’au bas du pantalon. Moi et les chiens en balade. Les autres, les adultes contournaient le flaque et se déplaçaient pour éviter d’abimer leur bottines et bottes de caoutchouc.

Puis en me tournant attirée par les crissement des pneus d’un gros 4/4, je l’ai vue. A travers la vitre de la voiture. Elle m’a parût vieille, il m’a fallut quelques secondes pour la reconnaître. Un air familier qui me disait quelque chose.

Je l’a connaît celle-là. Mais dis donc qu’est-ce qu’elle a l’air fatiguée, la pauvre.

Je n’ai pas toujours les mêmes sentiments en la voyant. Aujourd’hui elle m’a rendue triste mais bon c’est vrai j’étais pas au meilleur de ma forme non plus.

Il m’arrive de la trouver resplendissante même si elle me parait toujours trop agée à mon goût. Elle n’est jamais comme je me la représente. Elle toujours un peu à côté.

Elle a toujours trop d’années. Comme son physique, son visage, ses traits qui s’affaissent légèrement me percutent toujours.

D’une fois à l’autre j’oublie ça. Les paupières légèrement tombantes, les yeux plus fermés, la petite virgule que forment la peau de ses joues avec le menton.

Il m’arrive bien de voir qu’il y a toujours ce pétillement en elle, que tout n’est pas perdu. Toujours je sais qui elle est, je la reconnais c’est certain.

En même temps, j’ai à chaque fois la même sensation.

Un mensonge. Pourquoi m’a t’elle menti ?

Sentiment aussi qu’elle ne m’a pas préparée, ni même prévenue. Que les années ont filé voir qu’elles lui ont été volées et que après 20 ans , 30 ans elle réapparait toujours sortie de nulle part un peu plus abîmée.

La dernière fois que je l’avais croisée je croyais avoir 25-26 ans, j’avais la vie devant moi. Je m’étais débarrassée de mon immaturité, de mes plus grandes peurs : devenir adulte, m’engager.

Et puis je l’ai vue. Je marchais d’un pas léger et énergique dans une rue piétonne du centre ville et elle était là. Dans le reflet de la vitrine d’une boutique chic. Elle me toisait elle aussi. Comme si elle n’en croyait pas ses yeux et là de nouveau, ça me gifle.

Je la regarde et c’est pas vraiment qu’elle soit moche ou avachie, c’est juste qu’elle est âgée. Et je ne me rappelle pas ce qu’elle a fait ces 10 ou 15 dernières années. Maintenant je suis là, je me tiens droite, prête enfin à être adulte et avec l’impression que j’ai encore toute la vie devant moi mais elle a déjà presque 50 ans. Et ça me fout le vertige. Encore une vie devant elle mais pas la même, plus avec le même corps. Plus avec le même potentiel physique encore moins sexuel. Elle est là et du haut de mes 25 ans, je lui en veux. Je voudrais qu’elle ne soit pas. Pas comme ça. Pas encore. C’est trop tôt, c’est trop vite.

Dans le miroir ….